Les
historiens n'aiment pas le roman historique, surtout lorsqu'il est
écrit par un pair. Un Christian Jacq est très souvent critiqué pour ses
ouvrages. C'est un égyptologue professionnel pourtant. Il possède le
titre universitaire qui lui confère une légitimité dans son domaine.
Comment pourrait-il écrire de tels romans sans un minimum de
connaissances ? Son érudition ne fait pas de doute. Certains détails
montrent qu'il s'agit de quelqu'un qui maîtrise son sujet. Dans son Imhotep, l'inventeur de l'éternité il mentionne que Khâsekhemoui
est enterré dans une chambre funéraire en brique. L'utilisation des
blocs de pierre est en effet une "invention" d'Imhotep. Pour savoir
cela, il faut avoir été chercher l'information que ce soit dans un
ouvrage général ou sur un site Internet spécialisé comme antikforever.com.
L'écriture
de l'histoire universitaire doit-elle être formatée, neutre, sans
profondeur ? Il me semble que non. Comme étudiant en histoire je dois
respecter certaines règles. Pour commencer, ne pas utiliser le "je",
mais le "nous" ou le "on". C'est très prétentieux. La première personne
du singulier est une manière d'assumer ce que l'on écrit. La première du
pluriel englobe indirectement l'institution. Le récit doit être une
transmission de connaissances, mais presque n'importe qui pourrait
signer le texte. Ce qui fait l'originalité d'un mémoire ou d'une thèse
c'est le sujet abordé, la rigueur avec laquelle il est traité, les
recherches effectuées. Finalement, plus un travail universitaire est
original et l'historien sérieux dans sa manière de procéder, plus il
sera reconnu par ses pairs et par l'institution.
La
vulgarisation, même en restant dans un cadre académique, passe déjà
mal, même avec des notes de bas de page et une bibliographie à la fin.
Lorsque la vulgarisation se transforme en roman, sans appareil critique,
cela vire à l’infamie. Il y a bien sûr des dérives, comme dans certains
livres de Max Gallo. Dans son Roman des rois il a une approche
très personnelle de la persécution des juifs par Louis IX (1226-1270).
Il ne dénonce pas clairement la politique du roi. C'est pour le coup une
prise de position politique, très contemporaine, et dommageable sur un
plan scientifique.
Si
le roman historique peut permettre une plus grande liberté de style,
avec l'invention de personnages de fiction, il est nécessaire (de mon
point de vue) que l'auteur possède une certaine maîtrise de son sujet,
comme c'est le cas de Christian Jacq. Un bon roman historique est pour
moi un récit qui parvient à pointer une particularité de l'époque ou de
la civilisation abordée. Jacq insiste, pour exemple, sur le côté
spirituel et charismatique des rois, en intégrant un peu de magie.
Imhotep, dans son roman, possède un don de guérisseur et une facilité
dans son travail. Cela ne contrefait nullement la réalité historique.
Imhotep était un haut fonctionnaire, un artisan, et il exerçait bien la
fonction de médecin.
Il
y a peu, des historiens avaient une plume. Je pense à Georges Duby ou
Fernand Braudel. Il serait certainement possible d'en trouver d'autres.
Aujourd'hui, c'est plus rare. Lire un livre d'histoire (très
universitaire) comme un roman est une exception. C'est même tellement
rare que ce type d'ouvrage sont des petites pépites. J'adore les
historiens du XIXe siècle car ils ne concevaient pas encore leur
discipline comme une science, mais comme un genre littéraire. Dans la
manière d'écrire, cela change tout.
Est-ce
vraiment incompatible ? Ne pourrait-on pas écrire un livre d'histoire
comme un roman (au niveau du style) tout en gardant un haut niveau de
connaissances ? Je suis persuadé que c'est possible. Il n'est pas
obligatoire d'écrire un roman historique, avec des dialogues, des
personnages fictifs, mais il est important de romancer, d'utiliser des
mots simples. Rendre accessible au grand public des recherches pointues
est important pour la survie de la discipline. La cosmologie a bien
compris cela. Hubert Reeves est un vrai conteur, tout comme Stephen
Hawking. Ils nous transmettent des théories très complexes avec des mots
simples et sans prendre les lecteurs pour des ignorants stupides. C'est
un tour de force qu'il faut souligner.
Les
sciences humaines devraient en prendre de la graine, imiter cette
volonté de transmission. Le débat sur la légitimité du genre de la
biographie historique est illustratif de la fermeture des historiens à
des genres considérés comme vulgaires, secondaires. Le livre récent de
Patrice Gueniffey sur Bonaparte (1769-1802) est une somme
d'érudition. Cela reste une biographie universitaire, mais elle est
écrite de manière plus romancée que les autres ouvrages de l'auteur.
Elle reste plus accessible aux amateurs du personnage qu'une histoire
érudite du Consulat et de l'Empire, par exemple.
D'ailleurs,
qu'est-ce que le grand public ? Personnellement, je commence à avoir
des difficultés pour évaluer si un ouvrage est accessible ou non à un
pur néophyte. Mon niveau d'étude en histoire (pour l'instant une
licence) me permet de comprendre des ouvrages très compliqués (sans
forcément les apprécier). Un livre d'histoire qui me raconte une
histoire, justement, comme certains ouvrages de Duby, sont est plus
passionnant qu'une somme érudite pleine de statistiques et d'hypothèses
dépassées. C'est un peu caricatural sans doute. Ce n'est pourtant pas un
hasard si les historiens médiatiques sont ceux qui possèdent pour la
plupart une plume, un véritable style.
Pour
finir simplement, je dirais qu'un livre de vulgarisation est parfois
trompeur. Son contenu peut sembler simpliste, déconcertant. La capacité
de l'auteur à faire comprendre son sujet est un art. Vulgariser
nécessite une énorme maîtrise de son sujet. Expliquer quelque chose que
l'on ne comprend pas soi-même est presque impossible et l'échec est
garanti. Donc, la relation entre histoire et roman est conflictuelle,
par la force des choses, et surtout parce que les universitaires ont
décidés qu'un romancier, s'il est en plus inconnu au bataillon, ne
mérite aucune reconnaissance légitime (même si son travail est par
ailleurs des plus sérieux).
Une
petite anecdote pour la fin. Dans ses lettres, Tolkien explique que ses
collègues lui reprochent d'écrire de la littérature de bas étage en se
compromettant autant dans de la fiction. Cela n'enlève rien à la valeur
des travaux universitaires de l'auteur du Seigneur des Anneaux,
même s'il avait le soucis de faire comprendre son propos à ses lecteurs
(qu'il s'agisse de ses collègues, d'étudiants ou du grand public lors de
certaines conférences). Être à la fois romancier et scientifique, si
les deux activités sont clairement identifiées, je ne vois où est le
problème. Un Lorant Deutsch n'est pas un vulgarisateur ou romancier car
il ne dit pas aux lecteurs que son propos est une interprétation
personnelle, un "essai" et non de l'histoire. Il instrumentalise
l'histoire à des fins politiques ou idéologiques, et cela c'est grave et
ça doit être dénoncé.
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